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Réforme du droit des obligations : Aperçu des conséquences en matière de baux commerciaux

L’ordonnance du 10 février 2016, publiée le 11 février 2016, a réformé le droit des contrats.


La réforme a consacré de nouvelles dispositions et entériné des décisions jurisprudentielles aux fins, d’une part, de rééquilibrer la situation contractuelle du contrat et, d’autre part, de renforcer la force obligatoire des contrats en consacrant la notion de bonne foi.


La réforme est entrée en vigueur le 1er octobre 2016.


La loi nouvelle s’applique aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er octobre 2016.


En principe, elle ne s’applique pas aux baux en cours, ni aux baux tacitement prolongés après le 1er octobre, ni aux baux renouvelés à l’issue d’une procédure judiciaire en fixation du loyer postérieure au 1er octobre, mais dont la date d’effet est antérieure.


Toutefois, la question se pose de l’application de certaines dispositions considérées d’ordre public, aux contrats en cours.


En outre, certaines dispositions de la réforme sont expressément applicables aux contrats en cours et ce, dès le 1er octobre 2016.


Il s’agit principalement des actions dites interrogatoires relatives aux pactes de préférence, à la représentation, ainsi qu’au régime de la nullité des contrats.




  1. La formation du contrat


 




  1. Le renforcement de l’obligation précontractuelle


Le nouvel article 1112-1 du Code civil consacre la jurisprudence antérieure ayant admis le principe de l’obligation précontractuelle de renseignement à la charge du cocontractant.


Les parties ne peuvent ni limiter ni exclure le devoir d’information et son omission peut entraîner tant la mise en cause de la responsabilité de la partie fautive, que l'annulation du contrat dans les conditions prévues par les articles 1130 et suivants nouveaux du Code civil.


Cette nouvelle obligation a une importance en matière de baux commerciaux : une obligation précontractuelle d’ordre public impératif pèse sur celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre, dès lors que l’autre ignore légitimement l’élément en question.


Cet élément doit avoir un lien direct avec le contenu du contrat ou la personne du cocontractant.


Le devoir d’information n’a pas été étendu au prix.


Au visa de ce nouvel article, le locataire pourra engager la responsabilité de son bailleur en cas de manquement à son obligation d’information.


Dans le cadre de la négociation et de la conclusion des baux commerciaux, cette obligation repose principalement sur le bailleur, lequel doit délivrer les informations sur les biens loués et ses caractéristiques.


Or, la loi Pinel a édicté l’article L 145-40-2 du Code de commerce précisant que le bailleur a l’obligation d’informer le preneur, lors de la conclusion du bail, puis tous les trois ans, du coût des travaux qui sont intervenus les trois précédentes années, ainsi que de ceux prévus les trois prochaines années, de même que du budget prévisionnel.


Bien que d’ordre public, aucune sanction n’était prévue en l’absence de ces informations jusqu’à présent.


Désormais, le non-respect de ces obligations pourrait être sanctionné dans les conditions de l’article 1112-1 du Code civil.




  1. La notion de déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion


2.1 La définition du contrat d’adhésion


La réforme du droit des contrats procède ainsi à une distinction des contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, selon qu’ils sont de gré à gré ou d’adhésion, aux termes de l’article 1110 du Code civil ainsi rédigé :


« Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties.


Le contrat d'adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties. »


Le contrat d’adhésion est un contrat pré-rédigé unilatéralement, qui s’applique de façon générale, à tous les contrats ultérieurs.


Dans le contrat d’adhésion, les conditions générales n’ont pas été l’objet de négociations entre les cocontractants.


Les conséquences de la qualification retenue de contrat d’adhésion sont importantes.


2.2. Les conséquences de la qualification du contrat d’adhésion


 


Le nouvel article 1171 du Code civil dispose :


 


« Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.


L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation. »


Ainsi, l’article susvisé répute non écrites, dans les contrats d'adhésion, les clauses abusives définies comme celles créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.


Le bail commercial peut-il alors être qualifié de contrat d’adhésion ?


On rappellera que le contrat d’adhésion, par opposition au contrat de gré à gré, est défini à l’article 1110 nouveau du Code civil comme étant « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminée à l’avance par l’une des parties ».


La question se pose nécessairement pour les baux de centres commerciaux ainsi que pour d’autres baux pré-rédigés dont le preneur n’a d’autre clause à négocier que la clause de loyer.




  • La notion de déséquilibre significatif dans les baux commerciaux


Il convient de se reporter aux textes ainsi qu’à la jurisprudence antérieure pour tenter de définir cette notion, somme toute assez floue.


Il n’existe en effet aucune disposition légale de cette notion, laquelle constitue pourtant le critère retenu en droit de la consommation pour déterminer les clauses abusives (article L 212-1 du Code de la consommation).


De même, l’article L 442-6 I. 2° du Code de commerce fait également référence à cette notion pour sanctionner la partie qui pourrait « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».


Selon Françoise AUQUE (Loyers et copr. n° 10, octobre 2016, « Bail commercial et contrôle du déséquilibre significatif »), il est donc probable que pour l’application de l’article 117 nouveau du Code civil, le juge s’inspirera notamment de la jurisprudence commerciale pour poser les critères d’appréciation du déséquilibre significatif.


A cet égard, la Cour de cassation, dans sa jurisprudence récente, impose au bénéficiaire de la clause contestée de démontrer que celle-ci est nécessaire à l’équilibre de la convention ou que ce déséquilibre est compensé par d’autres dispositions du contrat.


De même, la jurisprudence fait peser la charge de la preuve sur le bénéficiaire de la clause, lequel doit prouver la réciprocité.


La même démarche doit prévaloir en matière de baux commerciaux.




  • Conditions tenant aux contrats


 


La qualification de contrat d’adhésion, selon l’article 1110 nouveau du Code civil, repose sur un critère formel : un contrat pré-rédigé unilatéralement s’appliquant à tous les contrats ultérieurs et la mention selon laquelle les conditions générales ont été soustraites à la négociation. Elle a pour but d’opposer le contrat d’adhésion au contrat de gré à gré.


Or, dans la pratique, l’opposition n’est pas si tranchée et il reste « une zone intermédiaire entre le vrai contrat de gré à gré et le pur contrat d’adhésion » (cf. S. Gaudemet, « Quand la clause abusive fait son entrée dans le Code civil : Contrats, conc. Consom. 2016, dossier 5).


C’est le cas des baux commerciaux.




  1. La validité du contrat



  1. L’erreur de droit


L'article 1132 consacre l'erreur de droit parmi les vices du consentement permettant d'obtenir l'annulation du contrat.




  1. La violence économique


L'article 1143 retient, au titre des vices du consentement, la violence pouvant résulter d'un état de dépendance.


Il pourra s'agir notamment d'un état de dépendance économique, qui permettrait alors à la partie économiquement faible de solliciter la nullité du contrat dès lors qu'elle démontrerait qu'abusant de l'état de dépendance dans lequel elle se trouvait, son cocontractant aurait obtenu d'elle la souscription d'un engagement qu'elle n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et qu'il en aurait tiré un avantage manifestement excessif.




  1. L’exécution du contrat



  1. La bonne foi


Le nouvel article 1104 du Code civil dispose :


« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.


Cette disposition est d'ordre public. »


 


Désormais, l’exigence de bonne foi est érigée à tous les stades de l’exécution du contrat et il s’agit là d’une disposition d’ordre public.


 




  1. La consécration de la théorie de la révision pour imprévision


L’arrêt « Canal de Craponne » du 6 mars 1876 est l’un des plus grands arrêts de la Cour de cassation française en droit civil qui consacre le rejet de la théorie de l'imprévision, c'est-à-dire la révision pour imprévision en droit contractuel. C’est un arrêt emblématique de la force obligatoire du contrat.


Or, l'ordonnance du 10 février 2016 met fin à cette jurisprudence puisque le nouvel article 1195 du Code civil définit les circonstances et modalités d'une telle révision et intègre, dans le droit positif, la théorie de l‘imprévision, permettant à l'une des parties de solliciter la révision judiciaire de son contrat, en cas de changement de circonstance imprévisible, rendant l'exécution excessivement onéreuse, aux termes de l’article 1195 ainsi rédigé :


« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. 


 En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ».


La question se pose de l’application ou non de ce nouveau mécanisme de révision au bail commercial.


Le juge pourrait-il, par exemple, déplafonner la révision en se fondant sur les dispositions du nouvel article 1195 du Code civil alors même qu’il existe déjà un mécanisme de révision des loyers prévu par le Code de commerce (articles L.145-38 et L.145-39 du Code de commerce) ?


Il convient d’attendre la pratique ultérieure des tribunaux.


La doctrine semble retenir que cette nouvelle disposition n’est pas d’ordre public, permettant aux parties d’y déroger.





  1. L’inexécution du contrat


 L’article 1217 du Code civil prévoit de nombreuses sanctions en cas d’inexécution du contrat.


En effet, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :




  • refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

  • poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;

  • solliciter une réduction du prix ;

  • provoquer la résolution du contrat ;

  • demander réparation des conséquences de l'inexécution.


De plus, les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées et des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.


Les articles 1220, 1223, et 1224 du Code civil offrent en effet aux créanciers des possibilités élargies de sanctionner unilatéralement l'inexécution du contrat, par le biais notamment des procédés suivants :


- l'article 1220 du Code civil renforce le domaine de l'exception de l'inexécution en instaurant une faculté de suspendre l'exécution du contrat de «manière préventive » ;


- l'article 1223 du Code civil ouvre la possibilité au créancier d'accepter de son propre choix une exécution imparfaite du contrat en sollicitant une réduction proportionnelle du prix.


- l'article 1224 ouvre enfin une faculté de résiliation unilatérale du contrat en dehors de la stipulation d'une clause résolutoire et sans intervention préalable du juge.




  1. L’exception d’inexécution


L’exception d'inexécution, qui était consacrée par la jurisprudence, notamment en matière de baux commerciaux, est désormais prévue aux articles 1219 et 1220 du Code civil :


Article 1219


 « Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »


 


Par dérogation, une partie ne pourra refuser d’exécuter son obligation avant d’avoir obtenu une décision de justice.


 


Article 1220


 « Une partie peut suspendre l'exécution de son obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »


Par dérogation, le locataire ne pourra pas suspendre son obligation sans autorisation de justice préalable.


 


Ces nouveaux articles subordonnent l'exception d'inexécution au caractère suffisamment grave de l'inexécution.


Aucune mise en demeure préalable n'est alors requise.


A titre d’exemple, le preneur pourrait invoquer ces dispositions en cas d’impossibilité d’exécuter une obligation de délivrance du local par le bailleur.


Appliqué aux baux commerciaux, ce nouveau mécanisme permettrait ainsi, par exemple, au preneur d’un bail à destination de restauration, de suspendre le paiement des loyers tant qu’aucun extracteur n’aura été installé dans les lieux aux frais du bailleur.




  1. L’exécution forcée en nature


L’exécution forcée en nature est subordonnée à la mise en place d'une mise en demeure préalable obligatoire prévue aux articles 1221 et 1222 du Code civil :


Article 1221


« Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »


Article 1222


« Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l'obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.


Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction. »


Appliqué au bail commercial, le preneur pourrait, après mise en demeure restée sans effet, faire exécuter des travaux obligatoires à la charge du bailleur.


De même, et à l’inverse, le bailleur peut obtenir la remise en état des lieux à la suite de travaux non autorisés.




  1. La réduction du prix


Aux termes de l’article 1223,


« Le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix.


S'il n'a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais. »


En matière de bail commercial, un preneur pourrait accepter l'exécution imparfaite du bail et solliciter une réduction proportionnelle du montant du loyer.


Il lui appartiendrait simplement de signifier préalablement une mise en demeure.




  1. La résolution


La résolution est définie par les articles 1224 à 1228 du Code civil qui disposent :


Article 1224


 « La résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice. »


Article 1225


« La clause résolutoire précise les engagements dont l'inexécution entraînera la résolution du contrat.


La résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s'il n'a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l'inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire. »


Article 1226


 « Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.


La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.


Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.


Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution. »


Article 1227


« La résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice. »


Article 1228


« Le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts. »


Alors que les anciennes dispositions prévoyaient que la condition résolutoire dans un contrat synallagmatique était toujours sous-entendue, le nouvel article 1225 confirme la validité de la clause résolutoire.


En matière de bail commercial, la clause résolutoire est encadrée par les dispositions d'ordre public prévues par l'article L. 145-41 du Code de commerce.


A cet effet, toute disposition contraire est réputée non écrite.


Par ailleurs, désormais, tout créancier d'une obligation contractuelle peut, après mise en demeure au débiteur défaillant, résoudre le contrat par voie de notification en offrant préalablement au débiteur un délai raisonnable pour satisfaire à son engagement contractuel==CHOISIR LA PERSONNE POUR ENTET


Laurence GUEGAN-GELINET


Avocat à la Cour


Spécialiste en droit immobilier