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Occupation saisonnière des parties communes et point de départ du délai de prescription de l’action du syndicat

Cass. 3e civ., 24 nov. 2021, n° 20-17.684, D

Mots-cles

Copropriété • Prescription • Action du syndicat • Délai • Point de départ • Action personnelle • Parties communes • Occupation intermittente • Activité saisonnière • Première infraction • Règlement de copropriété • Violation

Textes vises

Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 – Article 42 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 – Code civil – Article 2224

Repere

Le Lamy Droit immobilier 2021, nos 5110 et 5409 et s.

En application de l’article 42, alinéa 1er, de la loi du 10 juillet 1965, dans sa rédaction antérieure à la loi Élan, le délai d’action décennale du syndicat des copropriétaires à l’encontre des copropriétaires occupant les parties communes de manière répétée, à chaque saison, sans interruption, n’a pas pour point de départ chaque nouvelle occupation saisonnière mais la date de la première infraction.

Analyse

Plusieurs locataires commerciaux, exploitant une activité saisonnière, installent régulièrement du mobilier ainsi que des dispositifs fixes dans une zone située entre leurs devantures et le trottoir public, sur un espace revendiqué par le syndicat comme constituant des parties communes de l’immeuble.

Ne pouvant plus supporter que le restaurant, la boutique de prêt-à-porter et l’école de voile exposent ainsi, lors de chaque saison, leurs tables, chaises, estrades, terrasses, présentoirs et portants, le syndicat des copropriétaires s’avise d’engager une action afin que les commerces libèrent les parties communes et procèdent au paiement d’une indemnité d’occupation.

Mais la procédure ayant été initiée longtemps après la première installation de leurs équipements, les défendeurs opposent l’expiration du délai de prescription de dix ans, de l’article 42, alinéa 1er, de la loi du 10 juillet 1965, dans sa rédaction antérieure à la loi Élan du 23 novembre 2018, attaché aux actions personnelles entre les copropriétaires et le syndicat.

Invoquant le caractère intermittent de leur activité commerciale, le syndicat répond que chaque reprise saisonnière de l’exploitation ferait repartir un nouveau délai de prescription.

La Cour d’appel de Pau confirme cette dernière analyse, laquelle est censurée par la Cour de cassation.

Selon la Haute juridiction, le point de départ du délai de prescription de dix ans de l’article 42, alinéa 1er, de la loi du 10 juillet 1965, dans sa version antérieure à la loi Élan, court du jour de la première infraction au règlement de copropriété, laquelle, en l’espèce, s’est régulièrement répétée sans interruption à chaque saison.

Ce faisant, la Cour régulatrice rompt avec les solutions antérieures, émanant des juridictions du fond, sur le point de départ du délai de prescription de dix ans de l’article 42, alinéa 1er, en matière d’occupation intermittente des parties communes.

Ainsi, la même Cour d’appel de Pau avait-t-elle décidé qu’en cas d’occupation saisonnière des parties communes pendant les trois mois d’été, chaque nouvelle occupation irrégulière constituait le point de départ d’un nouveau délai de prescription décennale.

Autant dire qu’en pareil cas, l’action du syndicat se révèlerait quasiment imprescriptible.

En faisant débuter le délai de prescription des actions personnelles relatives à la copropriété entre le syndicat et les copropriétaires au jour de la première infraction, soit, en l’espèce, au jour de la première occupation irrégulière des parties communes, la Cour de cassation confirme une solution déjà bien établie.

On peut cependant s’interroger sur la solution retenue ici s’agissant non pas du point de départ du délai de prescription – lequel est désormais fixé par l’article 42, alinéa 1er, de la loi du 10 juillet 1965, au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, ce qui devrait rendre cette jurisprudence obsolète à l’avenir – mais sur le choix entre le délai de prescription de l’action personnelle et celui de l’action réelle immobilière.

On sait qu’il est difficile de distinguer, en matière d’atteinte aux parties communes, entre les actions personnelles de l’article 42, alinéa 1er, se prescrivant désormais par cinq ans et les actions réelles, dont le délai d’action est de trente ans, lorsqu’il s’agit d’une appropriation de parties communes.

Comment en effet opérer la distinction entre une simple occupation des parties communes et une véritable appropriation de celles-ci ?

Le critère proposé par le professeur Atias et retenu par une partie de la jurisprudence, serait que la prolongation de l’infraction au-delà du délai de trente ans serait de nature à permettre au copropriétaire de revendiquer la prescription acquisitive trentenaire sur les parties communes.

S’agit-il ici d’une occupation périodique des parties communes ou d’une véritable appropriation ?

Les copropriétaires pourraient-ils, en l’espèce, revendiquer ultérieurement ou non l’appropriation privative de l’espace extérieur séparant leur devanture du trottoir public ?

La Cour de cassation pourrait sembler ici répondre négativement.

Le pourvoi émanant des copropriétaires des lots de commerce ne l’avait toutefois pas saisie de cette question.

Or, précédemment, dans un cas comparable, la Haute juridiction avait jugé que l’action du syndicat était soumise, non pas à la prescription décennale de l’article 42, alinéa 1er, de la loi, mais bien à la prescription trentenaire.

Il s’agissait également d’une action tendant à la suppression de l’encombrement quotidien des parties communes (constituées de l’espace de circulation des piétons d’une galerie marchande), par des tables et des chaises pour servir des repas ainsi que par des étalages de marchandises exposées sur des tréteaux, aux heures d’ouverture des commerces.

Selon la Cour de cassation, la cour d’appel avait considéré à tort que l’action était de nature personnelle et donc prescrite pour avoir été introduite après l’expiration du délai décennal.

La Cour régulatrice avait au contraire décidé qu’il s’agissait d’une action réelle tendant « à la suppression de l’occupation d’une partie commune par des copropriétaires qui l’occupaient à titre personnel et exclusif, par la mise en place quotidienne de terrasses et d’étalages, de sorte qu’elle avait pour objet de restituer au passage indûment approprié le caractère d’une partie commune ».

Il est vrai que contrairement à l’hypothèse sus-évoquée où l’appropriation des parties communes revêtait un caractère quotidien même si elle ne s’appliquait que pendant les horaires d’ouverture des commerces, l’arrêt ici rapporté concerne une occupation temporaire car saisonnière des parties communes, ce qui a pu influencer la solution retenue.

En raison de l’exploitation intermittente des commerces, les lieux étaient en effet régulièrement rendus à leur aspect initial et à leur destination première en fin de saison.

Selon le critère résultant de la possibilité ou non d’invoquer ultérieurement l’usucapion, les copropriétaires des lots de commerce ne pourraient, en conséquence, revendiquer la prescription acquisitive trentenaire des parties communes concernées, faute d’une possession continue et non interrompue, laquelle figure au nombre des conditions requises par l’article 2261 du Code civil pour pouvoir prescrire.

Mais, en tout état de cause, le syndicat des copropriétaires n’avait pas invoqué la prescription trentenaire à titre principal, se contentant de ne l’évoquer qu’à titre subsidiaire.

Peut-être le syndicat pourra-t-il désormais tenter de se prévaloir de la prescription trentenaire à titre principal devant la cour de renvoi.

Textes de la decision (extraits)

« (…) Réponse de la Cour
Vu l'article 42 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 :
9. Selon ce texte, sans préjudice de l'application des textes spéciaux fixant des délais plus courts, les actions nées de l'application de la loi du 10 juillet 1965 entre des copropriétaires, ou entre un copropriétaire et le syndicat, se prescrivent par un délai de dix ans.
10. Pour déclarer recevable l'action du syndicat, l'arrêt retient que, lorsque l'occupation des parties alléguées communes est temporaire du fait d'une exploitation saisonnière qui se répète d'année en année, les lieux étant rendus en fin de saison à leur aspect et destination initiaux, chaque nouvelle occupation est le point de départ d'une nouvelle prescription décennale et constate que les terrasses installées devant les lots des copropriétaires-bailleurs sont, pendant leur période d'ouverture, occupées, chaque année, par les éléments mobiliers nécessaires à l'exploitation des commerces.
11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que c'était la même infraction au règlement de la copropriété qui s'était répétée, sans interruption, à chaque saison, de sorte que chaque nouvelle occupation n'était pas le point de départ d'une nouvelle prescription décennale, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :
CASSE ET ANNULE, (…) ».