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Ouvertures illicites pratiquées par un copropriétaire et responsabilité du syndicat à l’égard des tiers

Cass. 3e civ., 21 avr. 2022, n° 21-12.240, B

Mots-cles

Copropriété • Responsabilité du syndicat à l’égard des tiers • Ouvertures illicites pratiquées par un copropriétaire • Défaut de mise en demeure • Négligence fautive • Prescription acquisitive des servitudes de vue • Illégalité • Autorisation de l’assemblée générale • Autorisations d’urbanisme

Textes vises

Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 – Article 14 – Code civil – Article 690

Repere

Le Lamy Droit immobilier 2021, nos 5228 et s. et n° 258

Commet une négligence fautive engageant sa responsabilité, un syndicat de copropriété qui n’adresse au copropriétaire responsable aucune mise en demeure de remettre les lieux dans leur état initial alors qu’il est informé de l’existence d’ouvertures pratiquées irrégulièrement dans le mur de clôture de l’immeuble, partie commune et que cette infraction est susceptible de préjudicier au fonds voisin. L’absence de déclaration préalable d’urbanisme et le défaut d’autorisation des travaux de percement du mur par l’assemblée générale des copropriétaires ne font pas obstacle à l’acquisition d’une servitude de vue par prescription trentenaire.

Analyse

En 1976/1977, un copropriétaire, titulaire d’un lot à usage professionnel situé au rez-de-chaussée d’une résidence soumise au statut de la copropriété, procède sans autorisation de l’assemblée générale à des ouvertures dans le mur de clôture de l’immeuble afin d’y aménager une terrasse sur le fonds voisin.

De nombreuses années plus tard, en raison des troubles anormaux de voisinage créés par l’utilisation de la terrasse, le syndicat voisin engage une action judiciaire à l’encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence, lequel appelle en garantie le copropriétaire responsable.

Considérant que le syndicat des copropriétaires a concouru, avec le copropriétaire en cause, au préjudice subi, les premiers juges les condamnent solidairement à fermer les ouvertures, à supprimer tout empiètement ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts.

I – Responsabilité du syndicat pour négligence fautive

La Cour d’appel constate qu’alors qu’il était informé de l’existence de cette infraction, laquelle était susceptible de préjudicier à l’immeuble voisin, aucune mise en demeure n’avait été adressée au copropriétaire par son syndicat, lui enjoignant de rétablir les lieux dans leur état initial.

Au soutien de son pourvoi, le syndicat des copropriétaires prétendait que plus de trente-cinq ans s’étant écoulés avant que l’immeuble voisin ne songe à invoquer une prétendue négligence lors de l’aménagement de ces ouvertures par le copropriétaire, une telle durée était nécessairement exclusive de toute négligence, d’autant que l’absence de mise en demeure n’aurait, selon lui, pas de lien direct avec le préjudice causé, lequel procéderait non pas de l’ouverture du mur de clôture mais de l’existence de l’empiètement réalisé par l’installation d’une terrasse.

La Cour de cassation confirme cependant la décision d’appel en relevant qu’il existait au contraire un lien direct entre la faute commise par le syndicat, qui aurait dû enjoindre à son copropriétaire de remettre les lieux dans leur état initial et les dommages subis par le syndicat voisin, les ouvertures pratiquées de façon illicite ayant permis la réalisation de l’empiètement préjudiciable.

Il s’agit ici d’une confirmation des solutions antérieures en matière de responsabilité civile du syndicat envers les tiers en application de l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965, selon lequel le syndicat des copropriétaires a notamment pour objet la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes.

La responsabilité d’un syndicat de copropriété avait été précédemment retenue dans une espèce similaire, du fait d’un copropriétaire ayant transformé de simples jours de souffrance en véritables fenêtres ouvrant sur la courette d’un immeuble contigu.

Le syndicat s’était alors vu reprocher une négligence fautive consistant à n’avoir pas pris les mesures nécessaires pour mettre ce copropriétaire en demeure de rétablir les lieux en leur état initial, la faute étant en relation de cause à effet avec le préjudice subi par l’immeuble voisin.


II – Conditions de l’acquisition d’une servitude par prescription trentenaire

Les premiers juges avaient condamné solidairement le copropriétaire et le syndicat à supprimer les ouvertures.

Le copropriétaire responsable reprochait à l’arrêt critiqué d’avoir à la fois constaté que des ouvertures avaient été pratiquées depuis plus de trente ans donnant des vues droites et directes à moins de dix-neuf décimètres de l’héritage voisin, en contravention avec les dispositions de l’article 878 du Code civil, tout en décidant que les conditions de la prescription de trente ans n’étaient prétendument pas réunies, au motif que nul ne pourrait prescrire en vertu d’une possession s’établissant sur des actes illicites ou irréguliers.

En effet, la Cour d’appel avait retenu que les vues droites et directes avaient été effectuées dans le mur, sans l’accord de l’immeuble voisin ni celui du syndicat dont il faisait partie et sans déclaration d’urbanisme prise en application des dispositions de l’article R. 421-17 du Code de l’urbanisme, de sorte que la possession invoquée s’était, selon elle, établie sur des actes irréguliers.

Sans surprise, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 690 du Code civil selon lequel « les servitudes continues et apparentes s’acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans ».

La Haute juridiction retient que l’absence de déclaration préalable d’urbanisme et le défaut d’autorisation des travaux de percement par l’assemblée générale des copropriétaires ne font pas obstacle à l’acquisition d’une servitude de vue par prescription.

Ce faisant, la Cour de cassation confirme une jurisprudence constante qui décide que la servitude de vue est continue et apparente et existe du fait même de la présence de l’ouverture donnant sur l’héritage d’autrui dont la possession subsiste tant qu’il n’y est pas matériellement contredit.

Ainsi des ouvertures irrégulières peuvent-elles toujours conduire à l’acquisition d’une servitude de vue acquise par prescription rendant dès lors irrecevables les demandes visant à les supprimer.

Textes de la decision (extraits)

« (…) Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a exactement retenu qu'il appartenait au syndicat de la résidence Port des sables, informé des ouvertures pratiquées par M. [B] dans un mur partie commune de la copropriété sans son autorisation, donnant sur le fonds voisin appartenant à la résidence Le Soleil et susceptible de préjudicier à cette dernière, de le mettre en demeure de rétablir les lieux dans leur état initial.
7. Ayant ainsi caractérisé la faute du syndicat de la résidence Port des sables dans la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes, elle a pu retenir que cette négligence fautive avait contribué à la réalisation du préjudice invoqué par le syndicat de la résidence Le Soleil, résultant de l'atteinte à son droit de propriété et des troubles anormaux de voisinage générés par l'activité commerciale des locataires de M. [B] et en déduire qu'il devait être condamné, in solidum avec M. [B], à le réparer.
(…)
Réponse de la Cour
Vu l'article 690 du Code civil :
10. Selon ce texte, les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans.
11. Une servitude de vue constitue une servitude continue et apparente qui existe du fait-même de la présence de l'ouverture donnant sur l'héritage d'autrui et dont la possession subsiste tant qu'elle n'est pas matériellement contredite.
12. Pour condamner M. [B] à fermer les ouvertures, l'arrêt énonce que nul ne peut prescrire en vertu d'une possession s'établissant sur des actes illicites ou irréguliers et retient que les vues droites et directes sur la résidence Le Soleil ont été percées dans le mur appartenant à la résidence Port des sables sans son accord et sans déclaration en application des dispositions de l'article R. 421-17 du Code de l'urbanisme, de sorte que la possession invoquée par M. [B] s'est établie sur des actes irréguliers.
13. En statuant ainsi, alors que l'absence de déclaration préalable d'urbanisme et le défaut d'autorisation des travaux de percement par l'assemblée générale des copropriétaires ne font pas obstacle à l'acquisition d'une servitude de vue par prescription, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
(…)
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y a ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE (…) ».
Cass. 3e civ., 21 avr. 2022, n° 21-12.240, B