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La réalisation du plan annexé à l’état descriptif de division relève du monopole des géomètres-experts

Cass. 3e civ., 29 juin 2022, n° 20-18.136, B

Mots-cles

Copropriété • Règlement de copropriété • État descriptif de division • Régularité • Plan • Géomètre-expert • Opposabilité • Monopole

Textes vises

Loi n° 46-942 du 7mai 1946 – Articles 1er et 2

Repere

Le Lamy Droit immobilier 2022, nos ……

Il résulte des articles 1, 1°, et 2, de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 instituant l'ordre des géomètres-experts, que ces derniers sont seuls habilités à réaliser les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers. Viole ces textes la cour d'appel qui, pour dire qu'un plan annexé aux actes d'une copropriété est régulier et s'impose aux copropriétaires successifs, retient qu'il importe peu qu'il n'ait pas été réalisé par un géomètre-expert, alors que le plan annexé aux actes de copropriété délimite les droits fonciers des copropriétaires.

Analyse

En 2007, un notaire reçoit, à la demande d’une société civile immobilière, un règlement et un état descriptif de division d'une copropriété horizontale, constituée de deux lots, correspondant à deux superficies matérialisées en vert et en jaune sur un plan annexé aux actes, comprenant pour chacun d’eux, un chalet et un jardin privatif, l'accès commun à la voie publique constituant une partie commune.

Soutenant que l'accès à la voie publique n’aurait pas été réalisé à l'emplacement indiqué sur le plan annexé correspondant à la partie commune et qu'il empiéterait sur leur jardin privatif, les sous-acquéreurs d’un des deux lots sollicitent en 2013 l’interdiction de tout passage sur leur partie privative par l’autre copropriétaire.

À l’appui de leur demande, ils invoquent en particulier l’absence de régularité du plan annexé aux actes, au motif que celui-ci n’aurait pas été établi par un géomètre-expert, alors qu'il ressort des articles 1er et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, modifiée, que seuls les géomètres-experts peuvent dresser les plans de division des biens fonciers.

Au soutien de leur pourvoi, ils reprochent notamment à la cour d’appel de Chambéry d’avoir retenu que les actes de la copropriété comportaient bien un plan annexé faisant clairement ressortir les deux lots privatifs ainsi que les parties communes et que ce plan, suffisamment clair et précis, s'était imposé aux futurs copropriétaires, peu important qu’il n’ait pas été réalisé par un géomètre-expert.

Par un arrêt de principe, la première chambre de la Cour de cassation censure la décision d’appel au visa des articles 1er, 1° et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 instituant l'ordre des géomètres-experts, dans leur rédaction issue de la loi n° 87-998 du 15 décembre 1987 visant à garantir le libre exercice de la profession de géomètre-expert.

La Haute juridiction rappelle qu’il résulte de ces textes que seuls les géomètres-experts inscrits à leur ordre peuvent réaliser les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers.

Qu’à ce titre, ils lèvent et dressent, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les plans de division, de partage, de vente et d'échange des biens fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété foncière.

Or, par une formulation sans ambiguïté, la Cour de cassation retient que le plan annexé aux actes de copropriété « délimitait les droits fonciers des copropriétaires ».

Selon elle, la cour d’appel ne pouvait en conséquence décider de la régularité et de l’opposabilité du plan annexé aux actes de la copropriété, en précisant qu’il importerait peu qu’ils n’aient pas été réalisés par un géomètre-expert, sans violer les dispositions des articles 1er et 2 de la loi du 7 mai 1946.

Par cet arrêt, la Cour régulatrice met fin à la controverse concernant l’étendue du monopole dévolu aux géomètres-experts par la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 instituant leur ordre.

La difficulté provenait de l’interprétation de cette loi au regard des dispositions spécifiques en matière de copropriété.

Peut-on en effet assimiler à une délimitation de la propriété foncière la division en lots de copropriété, lesquels sont constitués de parties privatives et d’une quote-part des parties communes en indivision entre tous les copropriétaires ?

La Haute Autorité de la concurrence avait conclu que dans le silence de la loi et du règlement et en l’absence de toute précision jurisprudentielle sur ce point, aucun droit exclusif ne semblait avoir été octroyé aux géomètres-experts en matière de réalisation de plans ou esquisses annexés aux états descriptifs de division de copropriété.

Cet avis semblait cependant en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation reconnaissant la possibilité d’une servitude entre deux lots de copropriété et donc admettant l’existence d’une propriété distincte malgré le caractère indivis des parties communes.

L’arrêt ici rapporté consacre en réalité l’interprétation dite « du principe de La Rochelle » exposé lors du 41e Congrès des géomètres-experts en 2012, selon lequel l’établissement des plans joints à l’état descriptif de division lors de la mise en copropriété et lors des modificatifs ultérieurs relève de la compétence exclusive du géomètre-expert, en vertu de la loi du 7 mai 1946.

On peut s’interroger sur la portée et les conséquences pratiques de cet arrêt.

Par cette décision, la Cour de cassation étend clairement le monopole des géomètres-experts à l’établissement des plans annexés à l’état descriptif de division des immeubles soumis au statut de la copropriété.

Il est vrai que l’établissement de plans annexés au règlement de copropriété n’est qu’une simple faculté et que ceux-ci n’étant jamais publiés au fichier immobilier ils restent, en ce sens, inopposables aux tiers.

Pour autant, ces plans annexés à l’état descriptif de division ne seront désormais considérés comme réguliers et valant preuve de la délimitation de propriété entre les lots ainsi qu’entre parties communes et parties privatives que s’ils auront été établis par un géomètre-expert.

Textes de la decision (extraits)

« (…)
Sur le deuxième moyen, pris en ses quatrième et neuvième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes de M. et Mme [S] en annulation du plan de division, tendant à faire constater l'inexistence de la copropriété, à l'attribution de la parcelle n° 2 en pleine propriété et en responsabilité contre la SCI et M. [L].
Énoncé du moyen
10. M. et Mme [S] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :
« 4°/ qu'en retenant qu'il importait peu que le plan annexé à l'état descriptif de division eût été réalisé par un géomètre-expert ou non, cependant qu'il ressort des articles 1 et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, modifiée, que seuls les géomètres-experts peuvent dresser les plans de division des biens fonciers, la cour d'appel en a violé par refus d'application les dispositions ;
9°/ qu'en statuant par ces motifs, cependant qu'il ressort des articles 1 et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, modifiée, que seuls les géomètres-experts peuvent dresser les plans de division des biens fonciers, la cour d'appel en a violé par refus d'application les dispositions ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 1, 1°, et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 instituant l'ordre des géomètres-experts, dans leur rédaction issue de la loi n° 87-998 du 15 décembre 1987 visant à garantir le libre exercice de la profession de géomètre-expert :
11. Il résulte de ces textes que seuls les géomètres-experts inscrits à leur ordre peuvent réaliser les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers. À ce titre, ils lèvent et dressent, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les plans de division, de partage, de vente et d'échange des biens fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété foncière.
12. Pour rejeter les demandes de M. et Mme [S], l'arrêt retient que le plan annexé aux actes de la copropriété est régulier et s'impose aux copropriétaires successifs, peu important que ce plan n'ait pas été réalisé par un géomètre-expert.
13. En statuant ainsi, alors que le plan annexé aux actes de copropriété délimitait les droits fonciers des copropriétaires, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
(…)
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, (…) ».

Cass. 3e civ., 29 juin 2022, n° 20-18.136, B